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Coordination des processus d’entrée en vigueur de normes

Exemple de l’art. 131 de l’ordonnance du 7 novembre 2018 sur les jeux d’argent

Rebecca Joly
Rebecca Joly

Citazione: Rebecca Joly, Coordination des processus d’entrée en vigueur de normes, LeGes 30 (2019) 2

La révision d’une loi implique souvent la modification d’autres textes législatifs. Ces modifications sont en principe coordonnées et intégrées dans un seul processus de révision. Toutefois, il arrive, pour diverses raisons, que cette coordination ne soit pas complète au moment de l’adoption de la loi par le Parlement. Tel a été le cas pour la révision de la législation fédérale sur les jeux d’argent. De plus, dans ce dossier, sont venues s’ajouter à la procédure législative déjà compliquée une demande de référendum et une procédure judiciaire. Tous ces éléments ont impliqué que soient prises en compte une multitude d’hypothèses pour l’entrée en vigueur du paquet législatif, reflétées dans l’art. 131 OJAr.


I. Introduction

[1]

Un processus de révision totale est souvent un exercice complexe. Il exige une étroite coordination entre différents acteurs, car bien souvent plusieurs bases légales sont touchées. De plus, la durée du processus législatif peut être allongée pour diverses raisons, notamment en cas d’aboutissement d’une demande de référendum ou de recours devant les tribunaux. Lorsque le projet doit être rapidement mis en œuvre, la question de l’entrée en vigueur peut alors être délicate.

[2]

La révision totale de la législation fédérale sur les jeux d’argent et l’adoption de la nouvelle loi fédérale du 29 septembre 2017 sur les jeux d’argent (LJAr, RS 935.51) illustre bien la complexité de certains processus législatifs. Ce projet important a révisé et réuni dans une seule loi le domaine des maisons de jeu et celui des loteries et des paris sportifs, auparavant régis dans deux lois distinctes (message du Conseil fédéral du 21 octobre 2015 concernant la loi fédérale sur les jeux d’argent, FF 2018 7627 ss, 7632 ss). Au moment d’arrêter la date de l’entrée en vigueur de la révision, il a fallu coordonner plusieurs procédures alors en cours, soit la révision séparée d’une loi en lien avec la loi sur les jeux d’argent (modification de la loi fédérale sur les impôts anticipés [LIA, RS 642.21], FF 2018 6093), un référendum concernant la LJAR – qui a abouti le 29 janvier 2018 – et un recours au Tribunal fédéral relatif au déroulement de la votation sur la LJAr.

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Pour cette raison notamment, plusieurs hypothèses ont dû être prises en compte s’agissant de l’entrée en vigueur de la LJAr et de ses ordonnances (ordonnance du Conseil fédéral du 7 novembre 2018 sur les jeux d’argent [OJAr, RS 935.511] et ordonnances du Département fédéral de justice et police 7 novembre 2018 sur les maisons de jeu [RS 935.11] et sur le blanchiment d’argent [RS 955.022]). Pour l’OJAr, cela s’est fait au travers de son article 131, qui a été rédigé comme suit :

Art. 131 Entrée en vigueur

1 La présente ordonnance entre en vigueur le 1er janvier 2019, sous réserve de l’al. 2 et à l’exception des dispositions suivantes:

  1. Les art. 92 à 95 entrent en vigueur le 1er juillet 2019;
  2. Les art. 41a et 41c de l’annexe 2, ch. II 3, entrent en vigueur en même temps que les art. 11, al. 1, 16 al, 2bis, let. abis, 20a, 38, al. 3 et 64, al. 1, let. d, de la modification du 28 septembre 2018 de la loi du 13 octobre 1965 sur l’impôt anticipé.
2 Si les résultats de la votation du 10 juin 2018 sont validés après le 24 décembre 2018, la présente ordonnance entre en vigueur le 1er janvier 2020, à l’exception des dispositions suivantes: les art. 41a et 41c de l’annexe 2, ch. II 3, entrent en vigueur en même temps que les art. 11, al. 1, 16 al, 2bis, let. abis, 20a, 38, al. 3 et 64, al. 1, let. d, de la modification du 28 septembre 2018 de la loi du 13 octobre 1965 sur l’impôt anticipé.
[4]

La présente contribution décrit le périlleux exercice de coordination qui a dû être réalisé dans le cas précis de la révision totale de la loi fédérale sur les jeux d’argent.

II. Coordination législative en cas de révision totale et mise en vigueur simultanée

a. Généralités

[5]

Les travaux législatifs de la LJAr ont impliqué un nombre important d’acteurs, tant internes qu’externes à l’administration fédérale. Les intérêts cantonaux étaient en l’occurrence particulièrement touchés, si bien que des représentants des cantons ont été invités à participer à l’élaboration du projet, aux niveaux politique et technique (message du 21 octobre 2015 concernant la loi fédérale sur les jeux d’argent, FF 2018 7627 ss, 7637 ss). Divers offices et départements fédéraux étaient également représentés dans les groupes de travail institués pour l’occasion, notamment à cause des autres lois touchées par la révision de la législation sur les jeux d’argent. L’office responsable des travaux était l’Office fédéral de la justice (OFJ).

[6]

De manière générale l’organisation d’un projet de révision doit permettre de prendre en compte les divers intérêts en présence, tout en assurant la coordination avec d’autres procédures législatives. Il n’y a ainsi qu’une seule procédure de révision devant le Parlement et la cohérence entre les différentes normes est assurée. Dans le cas de la révision de la législation en matière de jeux d’argent, l’ampleur du projet a impliqué la coordination de plusieurs révisions d’autres lois et il n’aurait pas été possible de tout intégrer dans une seule et unique révision. La modification de LIA a ainsi été effectuée séparément.

b. Révision de la LIA

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Dans la loi sur les maisons de jeux, les gains des maisons de jeux terrestres (casinos) étaient exclus de l’impôt anticipé, afin déviter que les joueurs suisses aillent jouer à l’étranger où les gains ne sont pas soumis à un impôt (message du 26 février 1997 relatif à la loi fédérale sur les jeux de hasard et les maisons de jeu, FF 1997 III 137 ss, 180). Dans le projet de révision, le Conseil fédéral avait proposé d’exclure de l’impôt également les gains des jeux de grande envergure (loteries et paris sportifs), par souci d’égalité de traitement entre les deux marchés de jeux d’argent, désormais régis par la même législation. Le Parlement a préféré introduire une franchise d’un million de francs exonérée d’impôts, aussi bien pour les jeux de grande envergure terrestres et en ligne que pour les maisons de jeux en ligne1. Les gains supérieurs à un million sont ainsi soumis à l’impôt anticipé (art. 6 LIA). Cette situation ne pose pas de problème particulier lors de gains en argent, par contre cela peut être plus compliqué de percevoir un impôt anticipé en cas de gains en nature. Ainsi, afin de faciliter la procédure pour la perception de l’impôt anticipé pour les gains en nature, l’Administration fédérale des contributions a souhaité mettre en place une procédure de déclaration. Cette réflexion étant intervenue dans un deuxième temps, les dipositions y relatives n’ont pas pu être intégrées au projet de révision générale de la LJAr. Elles ont fait l’objet d’une procédure législative séparée devant le Parlement (FF 2018 6093).

[8]

Une coordination matérielle a pu avoir lieu pour la modification de l’ordonnance du 19 décembre 1966 sur les impôts anticipés (OIA; RS 642.211), qui a été intégrée dans le projet d’OJAr (RO 2018 5155 ss, 5197 ss). Toutefois, il a encore fallu coordonner l’entrée en vigueur des dispositions la LIA sur la procédure de déclaration, qui devaient logiquement entrer en vigueur au même moment que le nouveau régime quant aux gains imposables prévu par la LJAr.

c. Entrée en vigueur simultanée des modifications de la LIA et de la LJAr

[9]

Les dispositions fiscales prévoyant la procédure de déclaration pour les gains en nature imposés selon la LJAr ont été approuvées par le Parlement le 28 septembre 2018 (annexe II 7 de la LJAr, RO 2018 5103 ss, 5151 s). Le délai référendaire courrait ainsi jusqu’au 17 janvier 2019.

[10]

Les normes fiscales doivent de manière générale entrer en vigueur au début d’une année civile. En effet, dans le cas contraire, les administrations fiscales devraient calculer différemment les montants imposables ou les taux d’impôt au sein d’une même période fiscale, ce qui n’est pas envisageable (Auer/Hottelier/Malinverni 2013, n°1586). Dans la mesure où le changement de régime fiscal était prévu dans le projet de LJAr (annexe II 7, RO 2018 5103 ss, 5151 s), ce dernier devait en conséquence entrer en vigueur au début de l’année civile. Il restait donc deux possibilités : une entrée en vigueur le 1er janvier 2019, ou une entrée en vigueur le 1er janvier 2020. Compte tenu de la volonté des différents acteurs concernés de faire entrer en vigueur la révision le plus vite possible, c’est la date du 1er janvier 2019 qui a été privilégiée. Cela impliquait toutefois de faire entrer en vigueur les dispositions sur la procédure de déclaration – pour lesquelles le délai référendaire courait jusqu’au 17 janvier 2019 – de manière rétroactive.

[11]

En principe, les lois ne peuvent pas entrer en vigueur de manière rétroactive. Des exceptions sont tolérées par le Tribunal fédéral à des conditions cumulatives strictes, notamment le respect de la base légale ou l’absence d’inégalité de traitement (voir entre autres références : ATF 135 I 233, 125 I 182, 122 V 405 ; Häfelin/Müller/Uhlmann 2016, n°270; Tanquerel 2018, n°420 s). En ce qui concerne la modification de la LIA, les dispositions sur la procédure fiscale ne changeaient pas l’assiette fiscale mais simplifiaient le travail de perception de l’impôt anticipé, notamment pour le contribuable2 et la période concernée était limitée dans le temps à quelques semaines. La rétroactivité était donc admissible.

[12]

L’entrée en vigueur rétroactive des nouvelles dispositions de la LIA sur la procédure de déclaration était prévue directement par cette loi (ch. III de la modification de la loi sur les impôts anticipés du 28 septembre 2018; RO 2014 33). Les modifications de l’OIA ont été intégrées à l’OJAr, grâce à la coordination matérielle des deux projets qui a pu avoir lieu. Les modifications de l’OIA ne pouvaient toutefois pas entrer en vigueur avant celle de la LIA. Il a donc fallu prévoir que les normes de l’OIA entrent en vigueur rétroactivement au 1er janvier 2019 à condition que les normes de la LIA n’aient pas fait l’objet d’un référendum, directement dans les dispositions transitoires de l’OJAr. C’est ainsi que l’art. 131 al. 1 let. b OJAr prévoit une entrée en vigueur rétroactive et conditionnelle. Il est à noter que les dispositions d’entrée en vigueur conditionnelles sont parfois indispensables, mais qu’il faut dans la mesure du possible les éviter pour des raisons évidentes de sécurité juridique.

III. Entrée en vigueur différée d’une partie de la législation

[13]

En plus de ce problème d’entrée en vigueur rétroactive et conditionnelle, une partie de la loi et de l’ordonnance sur les jeux d’argent ont été mises en vigueur de manière différée. L’une des principales nouveautés de la nouvelle législation a été d’ouvrir le marché des jeux d’argent en ligne. Cette offre est toutefois soumise à une surveillance stricte, notamment en matière de protection contre le jeu excessif (art. 76 ss LJAr et 87 ss OJAr). Afin d’éviter que les joueurs puissent accéder à une offre illégale et non réglementée, ce qui aurait rendu les normes de protection inutiles (message du Conseil fédéral du 21 octobre 2015 concernant la loi fédérale sur les jeux d’argent, FF 2018 7627 ss, 7648), la LJAr prévoit un régime de blocage des offres illégales en ligne (art. 86 ss LJAr). Ce mécanisme vise notamment à orienter les joueurs vers une offre légale en leur privant l’accès à une offre illégale. Au vu des courts délais entre l’adoption des ordonnances et l’entrée en vigueur de la révision législative, il n’était pas possible pour les opérateurs de proposer une offre légale à temps. En effet, ces derniers avaient besoin de connaître l’étendue de leurs obligations, notamment pour demander une extension de leur concession aux jeux en ligne (art. 9 LJAr) avant de pouvoir déposer une demande, ce qui nécessitait de connaître le texte des ordonnances suffisamment tôt. Ces textes n’ayant été adoptés que le 7 novembre 2018, cela ne permettait pas l’obtention d’une extension de la concession pour les jeux en ligne au 1er janvier 2019.

[14]

Compte tenu de cette situation, il était préférable de reporter l’entrée en vigueur du blocage des offres en ligne illégales à une date qui devait permettre la constitution d’une offre suisse légale. En effet, dans le cas contraire, il aurait été possible que les joueurs trouvent des moyens de contourner techniquement le blocage des sites internet mis en place et prennent des habitudes de jeux qui auraient rendu le dispositif moins efficace. Le Conseil fédéral a ainsi décidé de différer l’entrée en vigueur des art. 92 à 95 de l’OJAr au 1er juillet 2019, menant à la rédaction de l’art. 131, al. 1, let. a OJAr (les art. 86 à 93 de la LJAr sont également entrés en vigueur au 1er juillet 2019).

IV. Gestion d’un recours pendant devant le Tribunal fédéral

[15]

Comme nous l’avons signalé en introduction, la LJAr a fait l’objet d’une demande de référendum qui a abouti. La votation a eu lieu le 10 juin 2018 et la loi a été acceptée par la majorité du peuple, et la totalité des cantons. Toutefois, le Parti pirate Suisse ainsi que d’autres personnes intéressées ont déposé des recours en matière de droits politiques sur la tenue du vote et notamment sur le déroulement de la campagne. Les recourants reprochaient en substance à l’administration fédérale ainsi qu’aux administrations cantonales de ne pas avoir respecté leur devoir de réserve. La question était d’autant plus délicate qu’une partie des acteurs de la campagne, directement intéressés par le résultat de la votation, étaient les sociétés de loterie actives en Suisse, qui sont toutes deux des sociétés appartenant aux cantons. Le devoir de réserve imposé aux cantons étant applicable à ces sociétés, il fallait déterminer si leur implication dans la campagne avait été trop importante. Au vu de l’impact direct du résultat du scrutin sur l’activité des sociétés de loteries, le Tribunal fédéral a finalement jugé, dans un arrêt du 29 octobre 2018, que leur engagement avait été compatible avec le devoir de réserve des autorités (ATF 145 I 1).

[16]

Au départ, les ordonnances n’auraient dû être approuvées qu’après la réception de l’arrêt du Tribunal fédéral statuant sur la validité du scrutin. Il n’était cependant pas envisageable de suspendre tous les travaux sur la rédaction des ordonnances, puisqu’en cas de confirmation de la votation par le Tribunal fédéral, l’entrée en vigueur au 1er janvier 2019 aurait été possible. Dans ce cette hypothèse, une suspension du processus aurait fait perdre beaucoup de temps. Or, l’objectif avoué des différents intéressés était de faire entrer la révision en vigueur le plus tôt possible. Dans cet esprit, il a été décidé de proposer au Conseil fédéral d’adopter les ordonnances lors de sa séance du 7 novembre 20183, et de prévoir une variante pour le cas où l’arrêt du Tribunal fédéral validant la votation était notifié trop tard – en regard des délais légaux de publication des lois au Recueil officiel4 – pour pouvoir entrer en vigueur en janvier 2019. L’art. 131, al. 2, OJAr précise ainsi quand, au plus tard, l’arrêt devait être communiqué et quelles étaient les conséquences sur le moment d’entrée en vigueur : si le Tribunal fédéral avait rejeté les recours avant le 24 décembre 2018, l’OJAr (et la loi) serait entrée en vigueur au 1er janvier 2019. S’il avait, en revanche, rejeté les recours après le 24 décembre 2018, l’OJAr (et la loi) serait entrée en vigueur le 1er janvier 2020.

V. Conclusion

[17]

Les textes tels que l’art. 131 OJAr sont rares en pratique. Normalement, de telles dispositions n’ont pas besoin d’être expressément prévues. D’abord parce que le processus de coordination en cas de révision totale d’une loi est censé permettre de prendre en compte la modification de toutes les législations annexes dans un seul projet. Ensuite, parce qu’il est souvent possible de prévoir une entrée en vigueur à un autre moment qu’au 1er janvier, ce qui permet d’attendre l’aboutissement d’un éventuel référendum ou une décision sur recours. Les délais extrêmement serrés, qui ont prévalu durant toute la procédure relative à la législation sur les jeux d’argent, ont été cristallisés dans la rédaction des dispositions finales de l’OJAr, obligeant à trouver des solutions rédactionnelles pour assurer l’entrée en vigueur rapide désirée par tous les acteurs concernés.


Rebecca Joly, Office fédéral de la justice, rebecca.joly@bj.admin.ch.

Bibliographie

  • Auer, Andreas/Malinverni, Giorgio/Hottelier, Michel (2013): Droit constitutionnel suisse, 3e éd., vol. 1, Berne.
  • Ulrich, Häfelin/Georg, Müller/Felix, Uhlmann (2016): Allgemeines Verwaltungsrecht, 7. Aufl., Zurich.
  • Tanquerel, Thierry (2018): Manuel de droit administratif, 2e éd., Genève.

 


  1. 1 Cette question a été longuement débattue par les deux Conseils, voir BOCE 2016, pp. 462 ss et 2017 pp. 327 s et 626 s et BOCN 2017 pp. 423 ss, 1271 ss et 1576 ss.
  2. 2 Ce qui rend la rétroactivité d’autant plus admissible : Häfelin/Müller/Uhlmann 2016, n°275 ss; Tanquerel 2018, n°421.
  3. 3 L’arrêt du Tribunal fédéral ayant été notifié à l’OFJ le 2 novembre 2018, soit pendant la procédure de co-rapport, il a encore fallu faire un corrigendum.
  4. 4 Art. 7, al. 1, de la loi fédérale du 18 juin 2004 sur les recueils du droit fédéral et sur la Feuille fédérale (RS 170.512).
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