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La notion d’évaluation participative revêt un caractère particulier pour les institutions supérieures de contrôle (ISC). En effet, de par leur mission de contrôle des finances publiques, les ISC jouissent d’une indépendance formelle ancrée dans la loi, voire la Constitution, et le respect de celle-ci est un facteur-clé de leur bon fonctionnement. Unanimement reconnu sur le plan international, ce principe d’indépendance est consacré dans des normes professionnelles édictées par l’Organisation internationale des institutions supérieures de contrôle des finances publiques (INTOSAI). La Déclaration de Mexico sur l’indépendance des Institutions supérieures de contrôle des finances publiques (2007)1 énonce ainsi huit principes de base de l’indépendance des ISC. En Suisse, le Contrôle fédéral des finances et la Cour des comptes de Genève sont deux ISC qui réalisent des évaluations de politiques publiques en plus de leurs missions de contrôle classiques. Alors que les approches participatives se développent au sein de la communauté en évaluation, comment ces institutions peuvent-elles y recourir sans perdre l’indépendance qui constitue leur fondement ?
La question de l’indépendance en évaluation a fait l’objet de nombreuses réflexions. La SEVAL y a même consacré son congrès 2015. En se basant sur Thomas Widmer (2012), on peut considérer que l’indépendance est particulièrement requise dans les évaluations poursuivant un objectif de redevabilité, tandis que la participation est à rechercher dans les évaluations visant avant tout l’apprentissage. Ces deux objectifs ne sont toutefois pas mutuellement exclusifs (Pleger/Sager 2016). D’ailleurs, les ISC ambitionnent de les traiter simultanément. En effet, elles ont, du fait de leur position particulière, deux défis à surmonter :
- D’une part, en raison de l’ampleur de leur périmètre de compétence elles ne disposent généralement pas, parmi leur personnel, de spécialistes des thématiques évaluées. De ce fait, elles ont davantage que des bureaux ou des hautes écoles spécialistes d’un domaine besoin de s’appuyer sur les parties prenantes, de manière à assurer la crédibilité de leurs résultats.
- D’autre part, leur intervention suscite souvent des sentiments de crainte au sein des entités évaluées, qui peuvent redouter que l’évaluation remette en question leur existence ou du moins leur niveau de ressources (coupes budgétaires). Pour éviter que ces craintes ne menacent leur accès à l’information, les ISC doivent garantir à ces parties prenantes un processus d’évaluation équilibré plutôt qu’une enquête à charge.
Sur la base d’exemples issus des activités d’évaluation de la Cour des comptes genevoise, les intervenant·es ont présenté différentes modalités de participation, ainsi que leurs enjeux. Deux dimensions apparaissent cruciales : l’ampleur et la profondeur de la participation. Une participation trop étroite avec des parties prenantes insuffisamment représentatives engendre des risques d’influence indue, tandis qu’une participation trop large nécessite des ressources démesurées. Sous l’angle de la profondeur, la participation va d’une simple information à la codécision, en passant par la consultation. C’est cette dernière modalité qui est privilégiée par les équipes d’évaluation des deux institutions de contrôle. Elles s’efforcent d’y recourir tout au long du processus d’évaluation, notamment en constituant des groupes d’accompagnement. Une participation de profondeur minimale, limitée à l’information, contribue certes à la transparence mais risque de compromettre la crédibilité (par manque de pertinence des constats et des recommandations) et l’utilité (par manque d’implication des entités) de l’évaluation. Par contraste, la mise en place de processus de codécision, composante essentielle de l’évaluation participative2, s’avère toutefois inconciliable avec les normes d’indépendance formelle des ISC.
Quelles précautions prendre pour éviter le double écueil de la participation alibi et de l’instrumentalisation de l’ISC ? Les intervenant·es suggèrent plusieurs pistes de réflexion issues de leur pratique. Tout d’abord, il convient de bien identifier les différentes parties prenantes et les enjeux en présence, de manière à garantir une diversité suffisante tout en cernant les questions sur lesquelles l’objectivité des personnes participantes peut être limitée. Ensuite, il est nécessaire de garantir des conditions favorables à la participation (par exemple diversifier les canaux de communication, alterner interactions formelles et informelles, limiter les asymétries entre les participant·es lors de séances en commun). Par ailleurs, il est important d’expliquer aux participant·es dans quelle mesure leurs éventuelles suggestions sont prises en compte. Pour cela, les standards SEVAL constituent une ressource de premier ordre, car ils mettent en lumière la diversité des préoccupations que les équipes d’évaluation doivent s’efforcer de concilier pour réaliser une évaluation de qualité. La prise en compte des parties prenantes constitue certes un point d’attention parmi d’autres, mais elle ne peut devenir le seul critère à prendre en compte.
Lors de la discussion, le public a reconnu l’importance de l’intégration des parties prenantes dans les évaluations des ISC tout en estimant qu’un modèle de codécision n’est pas compatible avec leurs missions. Une consultation régulière tout au long du processus d’évaluation présente plusieurs avantages. Elle permet d’avoir une meilleure adhésion à la démarche retenue et de discuter les critères d’évaluation. Il est ainsi possible d’avoir un référentiel partagé en encourageant les échanges sur l’approche et les objectifs. Ceci aboutit à une meilleure acceptation des constats. Afin d’avoir une plus grande chance de mise en œuvre des recommandations, il est essentiel que les parties prenantes, puis le public cible puissent s’approprier les résultats. Pour cela, la consultation concernant les recommandations ne devrait pas se limiter aux instances décisionnelles.
En conclusion, une ISC qui réalise des évaluations peut parfaitement intégrer les parties prenantes dans le processus. Ce mariage nécessite toutefois de doser finement la profondeur (la participation s’arrête avant la décision) et l’ampleur (intégrer des acteurs ayant des points de vue divergents mais capables de dialoguer). Une telle approche doit être transparente et documentée, selon les exigences posées par les standards SEVAL. Ceci renforce l’objectivité et la crédibilité des ISC en parfaite harmonie avec le respect de leur indépendance.
Laurent Crémieux, modérateur de l’atelier, évaluateur au Contrôle fédéral des finances ; e-mail : laurent.cremieux@efk.admin.ch.
Éric Moachon, évaluateur à la Cour des comptes de Genève.
Isabelle Terrier, magistrate à la Cour des comptes de Genève.
Philipp Zogg, évaluateur au Contrôle fédéral des finances.
- Pleger, Lyn/Sager, Fritz (2016): Evaluation and Independence: Existing Evaluation Policies and New Approaches, UNDP/Independent Evaluation Office, New York.
- Widmer, Thomas (2012): Unabhängigkeit in der Evaluation, in: LeGes, 2012 23/2, pp. 129–147.