Recourir à la participation est recommandé pour rendre les évaluations utiles aux parties prenantes (notamment les groupes vulnérables) ainsi qu’à la démocratie. Cette notion semble si commune que personne ne la définit. Pourtant, elle est comprise de différentes manières que ce soit dans le grand public en général que dans les sphères professionnelles et, par conséquent, dans le monde de l’évaluation.
Interpellé par ce constat, le Groupe romand d’évaluation (GREVAL), un groupe de travail de la SEVAL créé en 2015, a décidé d’y consacrer le congrès annuel 2020 de la SEVAL afin d’organiser un moment de réflexion et de discussion autour de l’évaluation participative, en particulier de ses définitions, principes, méthodes et pratiques.
Le GREVAL attache une grande importance à la notion de participation : il la comprend comme l’implication des parties prenantes à au moins une étape du processus d’évaluation. Les formes de participation peuvent alors varier entre une évaluation pluraliste (associant au moins un acteur supplémentaire au binôme mandant-mandataire) et une évaluation émancipatrice qui a comme vocation de transmettre des compétences évaluatives aux groupes directement concernés par l’objet évalué.
Le GREVAL a précisément comme but de promouvoir l’institution et la culture de l’évaluation en Suisse romande, en particulier le développement de pratiques d’évaluation pluralistes et ouvertes dans les collectivités publiques et les services publics. En organisant ce congrès, il a souhaité lancer une réflexion plus large en Suisse et contribuer à jeter des ponts entre l’évaluation et la société civile.
Ce numéro spécial regroupe l’ensemble des présentations réalisées à l’occasion du congrès 2020 de la SEVAL. Deux articles ont été rédigés par les auteur∙es des conférences plénières, tandis que les cinq ateliers organisés en parallèle ont fait l’objet de compte-rendu. Nous vous proposons, en tant que responsables de l’édition de ce numéro et de l’organisation du congrès, d’en résumer les points principaux.
La contribution de Thomas Delahais propose une discussion sur les définitions de l’évaluation participative qui, bien qu’ancienne, est toujours présentée comme une méthodologie innovante. L’auteur développe le paradoxe d’une approche qui, bien qu’entrée dans la norme, reste employée de manière exceptionnelle. En effet, selon sa définition une approche participative doit réunir trois caractéristiques : un contrôle au moins conjoint, une délibération évaluative, ainsi qu’une pluralité des parties prenantes. A travers trois exemples, il montre que cet usage modeste de l’évaluation participative peut provenir de différentes raisons :
- une définition exigeante de l’évaluation participative ;
- la nécessaire reconnaissance de l’implication des parties prenantes comme la normalité ;
- la crainte de perte de contrôle de la part des commanditaires ;
- le peu de possibilités d’innovation dans un cadre contractuel marchand (mandat d’évaluation) ;
- la difficulté à maintenir la dimension participative au long de toutes les étapes de l’évaluation ;
- la nécessité de composer avec le conflit pour ne pas exclure une partie des parties prenantes.
En conclusion, l’auteur explique que l’évaluation participative pourrait être proposée comme une démarche constructive pour reconfigurer l’action publique, poursuivre des objectifs politiques tels que « ne laisser personne de côté » et donner la possibilité à la société civile de mener elle-même des évaluations, qui seront peut-être plus modestes en termes méthodologiques, mais certainement très utiles en termes d’inclusion et d’adhésion à l’action publique.
La contribution d’Emmanuela Chiapparini passe en revue différentes définitions de l’évaluation participative en proposant trois niveaux, et sur cette base illustre son propos à l’aide de deux projets d’évaluation participative dans le cadre de la politique publique de la lutte contre la pauvreté en Suisse. Cet exemple aborde la participation des groupes vulnérables dans la société qui ne sont en général pas intégrés dans les processus d’action publique, mais sans qui l’administration ne peut que difficilement améliorer les mesures leur étant destinées. En se basant sur les mêmes constats que les deux premières contributions qui ont souligné la nécessité d’impliquer les parties prenantes, l’auteure met en évidence la plus-value d’une approche participative dans la mise en œuvre des mesures de lutte contre la pauvreté ainsi qu’au niveau de leur évaluation. Précisément, elle souligne l’importance de prendre en compte l’avis des personnes concernées dans le choix des instruments, ainsi que celle de gagner leur confiance et de leur donner du pouvoir. Enfin la contribution propose quelques conditions préalables à l’évaluation participative impliquant des personnes touchées par la pauvreté ou menacées par celle-ci.
Les compte-rendu des cinq ateliers permettent d’approfondir et d’illustrer les enjeux relevés dans les trois premières contributions et de donner un aperçu des questions que se posent les membres de la SEVAL à propos de la participation. Ces ateliers ont abordé les défis méthodologiques et éthiques posés par des évaluations participatives dans différents domaines. L’implication de publics en général laissés de côté (enfants allophones et migrants mineurs non accompagnés) nécessite des mesures particulières (compte-rendu 1). La vidéo constitue un outil pour aller à la rencontre de la société civile, essentiellement pour diffuser les résultats et recommandations d’une évaluation et éviter sa « schubladisation » (compte-rendu 2). Les instances supérieures de contrôle dont l’indépendance est la caractéristique centrale se sont, elles aussi, ouvertes aux approches participatives, tout en demeurant très prudentes quant à la profondeur de cette participation (compte-rendu 3). L’utilisation concrète de cette approche et les conditions à respecter ont fait l’objet d’un autre atelier (compte-rendu 4). Le dernier compte-rendu expose les avis des membres de la SEVAL au sujet de l’évaluation participative et met notamment l’accent sur le besoin de développement de compétences méthodologiques pour que les évaluations intègrent mieux cette approche dans le futur.
Au travers des contributions consacrées à ces ateliers émergent plusieurs thématiques qui reflètent, à notre avis, les principaux enjeux de la participation dans le contexte suisse. Toutes les personnes dont l’avis est évoqué dans ces contributions sont d’accord sur le fait que la participation représente un apport important à la démarche évaluative. Elle permet de donner à une voix à des publics peu écoutés (enfants, jeunes avec un parcours de migration dans l’atelier 1). Elle accroît la crédibilité et la légitimité de l’évaluation (atelier 3), notamment en élargissant le questionnement (atelier 4).
La réalisation d’évaluations participatives nécessite toutefois des conditions-cadres qui ne sont pas toujours garanties. Il est nécessaire de disposer d’une variété de canaux de participation (ateliers 1 et 2). Elle exige une compréhension commune des rôles des différentes parties prenantes, des compétences méthodologiques spécifiques du côté des responsables de l’évaluation1, une marge de manœuvre en ce qui concerne le mandat et le processus d’évaluation, mais aussi la volonté des parties prenantes de participer de manière constructive au processus d’évaluation (atelier 5).
Les comptes-rendus font également ressortir des doutes, voire des craintes, parfois exprimés par le public des ateliers. L’évaluateur/trice pourrait se faire manipuler (ateliers 2, 3 et 5). C’est pour des raisons similaires (garantie de l’indépendance) que la participation est fréquente dans les évaluations formatives, mais rare ou plus restreinte dans les évaluations sommatives (atelier 4). Un autre risque évoqué est celui de susciter des attentes de changement qui risquent d’être déçues si les recommandations issues du processus participatif ne sont pas mises en œuvre par la suite (ateliers 1 et 2).
C’est pour faire face à ces risques et profiter de ces avantages que les auteur·es des contributions de ce numéro formulent plusieurs pistes que nous vous invitons à découvrir.
Caroline Jacot-Descombes, Membre du comité GREVAL, Directrice adjointe SANTE SEXUELLE SUISSE, caroline.jacot-descombes@sante-sexuelle.ch.
Eric Moachon, Membre du comité GREVAL, évaluateur à la Cour des comptes de Genève et chargé de cours à l'Université de Genève, eric.moachon@unige.ch.
- 1 Il est également nécessaire de disposer de compétences humaines permettant d’interagir avec tact et de gagner la confiance des parties prenantes (atelier 1).