Lorsqu’un contribuable possède de la fortune à l’étranger, ou qu’il y réalise un revenu, il n’est pas rare que l’application du droit interne des différents Etats concernés conduise à une double imposition. Pour éviter une telle situation, ou à tout le moins en atténuer les effets, les Etats concluent entre eux des contrats bilatéraux, soit des « conventions de double imposition » (CDI). L’objectif de ces contrats est de favoriser les investissements et les échanges économiques bilatéraux. Le Parlement a à ce jour approuvé plus de 90 conventions (disponibles au ch. 0.67 du Recueil systématique : www.admin.ch > Droit fédéral > Recueil systématique > Droit international > 0.6 Finances > 0.67 Double imposition). A noter que les CDI ne constituent jamais la base légale pour le prélèvement d’un impôt, qui doit être prévue par le droit interne des Etats concernés. Par contre, elles limitent le pouvoir d’imposition prévu par le droit interne, dans la mesure où un accord international l’emporte sur le droit national, en vertu de la hiérarchie des normes.
Les CDI ont commencé à prendre de l’importance après la deuxième guerre mondiale. On s’est alors rendu compte que le contenu et l’interprétation de ces dernières étaient très hétérogènes, ce qui posait problème dans un objectif de globalisation. La Société des Nations (SDN) a dès lors commencé à travailler à l’élaboration de modèles de conventions fiscales. Ses travaux, à l’époque abandonnés, ont été repris par la suite par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Ils débouchèrent sur l’adoption, en 1963, du « Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune de l’OCDE » (ci-après: Modèle OCDE). L’objectif du Modèle OCDE était d’uniformiser les différentes CDI, s’agissant de l’application de certains principes, définitions, règles et méthodes et de parvenir à un accord sur une interprétation univoque. Chaque disposition du Modèle OCDE était accompagnée d’un commentaire (ci-après : Commentaire). A noter qu’il existe aussi un Modèle de Convention des Nations Unies concernant les doubles impositions entre pays développés et pays en développement. Ce dernier accorde cependant plus de droits aux Etats source des revenus, soit en principe aux Etats en voie de développement. Il existe aussi des modèles nationaux. Tous s’inspirent largement du Modèle OCDE.
Le Modèle OCDE est révisé régulièrement depuis 1963. La dernière version date de 2017. Les discussions ont lieu au sein de groupes de travail de l’OCDE. Les décisions de rédaction se prennent à l’unanimité des 35 membres, puis sont approuvées au niveau gouvernemental par le Conseil de l’OCDE. Le Commentaire explique le contenu des articles et propose le cas échéant des alternatives. Afin de favoriser les prises de décision, il est prévu que les Etats peuvent émettre des réserves, s’ils désirent ne pas appliquer une disposition particulière, ou des observations, s’ils souhaitent adopter une interprétation d’une disposition différente de celle du Commentaire. Les pays non membres de l’OCDE peuvent aussi, depuis 1997, émettre des réserves et faire des observations.
Pratiquement, le Modèle OCDE fait le lien entre deux droits internes et sert presque toujours de point de départ pour les négociations d’une CDI. Sa structure est la suivante : champ d’application (art. 1 – 2), définitions (art. 3 à 5), normes d’attribution (art. 6 à 22), méthodes pour éviter la double imposition (art. 23 , dispositions spéciales et finales. Certaines clauses sont reprises de manière standard (le domicile [art. 4], les revenus immobiliers [art. 6], les salaires [art. 15], les tantièmes [art. 16] ou les rentes publiques [art. 19]), alors que d’autres sont adaptées afin de prévoir des régimes différenciés, ce qui permet de tenir compte de la politique conventionnelle des Etats signataires et de leur droit fiscal national (les dividendes [art. 10)], les intérêts [art. 11], les redevances [art. 12] ou les rentes de droit privé [art.18]).
Pour les autorités compétentes, le Modèle OCDE et le Commentaire facilitent non seulement les négociations des CDI, mais également la résolution des cas concrets de double imposition, lors de procédures amiables avec l’autre Etat contractant.
Il est important de souligner que le modèle OCDE n’est jamais directement applicable dans un cas d’espèce. Seules le sont les CDI en vigueur. Ces dernières s’interprètent selon les art. 31 à 33 de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969, entrée en vigueur pour la Suisse le 6 juin 1990 (CV ; RS 0.111). On appliquera ainsi la règle générale d’interprétation de l’art. 31 par. 1, CV, selon laquelle « un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. » On appliquera aussi l’art. 32 sur les moyens complémentaires d’interprétation, qui prescrit qu’il » peut être fait appel à des moyens complémentaires d’interprétation, et notamment aux travaux préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le traité a été conclu, en vue, soit de confirmer le sens résultant de l’application de l’art. 31, soit de déterminer le sens lorsque l’interprétation donnée conformément à l’art. 31: a) laisse le sens ambigu ou obscur; ou b) conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable. » Il y a débat sur la question de savoir laquelle de ces deux dispositions s’applique en cas de recours au Commentaire OCDE pour interpréter une CDI. Certains estiment que c’est l’art. 31 CV qui s’applique. En effet, lorsque les Etats ont repris dans leur CDI des dispositions du Modèle OCDE, on peut présumer qu’ils ont voulu leur donner le sens – ordinaire - que le Commentaire leur accorde. Par ailleurs, sous l’angle du contexte, force est de constater que le Modèle OCDE et son Commentaire font partie du contexte de toute CDI négociée. En cas d’application de l’art. 32 CV, il ne serait en revanche possible de faire appel au Commentaire que s’il existe un sens ambigu ou obscur, ou si l’interprétation conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable. Cela donnerait moins de poids au Commentaire. Selon les intervenants, il convient de considérer le Modèle OCDE comme un outil à disposition pour interpréter une convention approuvée par le Parlement. Il s’agirait donc plutôt d’une application de l’art. 31 CV.
En pratique, le Tribunal fédéral (TF) accorde une grande importance au Commentaire et s’y réfère largement pour interpréter les CDI, qui sont bien souvent très complexes.
De manière générale, le TF (de même que les autorités administratives compétentes) privilégie une interprétation dynamique des CDI, telle que prônée par le Commentaire. On peut citer à titre d’exemple un arrêt du 29 novembre 2005, dans lequel le TF dit ceci : « Dans la convention modèle de l’OCDE et ses commentaires des dernières années, les clauses anti-abus font l’objet de développements répétés […] Tel n’était pas le cas au moment de la conclusion de la CDI-DK en 1973. Les commentaires y relatifs, bien qu’ultérieurs, peuvent néanmoins servir d’outil d’interprétation, puisqu’il ne s’agit pas de modifier volontairement le contenu des dispositions qui existaient auparavant … » (extrait de la traduction de l’arrêt du TF du 29 novembre 2005, 2A.239/2005, consid. 3.4.5, parue dans la RDAF 2006 II 239ss, 248).
Le TF agit parfois aussi de manière singulière. Ainsi, dans l’arrêt susmentionné, il s’est référé au Commentaire alors que la disposition particulière de la CDI à interpréter différait de la disposition du Modèle OCDE (voir pour une critique, RDAF 2006 II 239ss, 254). Le TF a par ailleurs parfois pris en compte des commentaires de versions alternatives d’article proposées dans le Commentaire, comme s’il s’agissait du Commentaire de l’article du Modèle OCDE repris par la CDI (arrêt du TF du 6 mai 2008, 2C_276/2007 et critique dans IFF Forum für Steuerrecht, 2009/4, 284ss).
Le Modèle OCDE et son Commentaire constituent selon les intervenants plus un instrument d’interprétation des CDI que de la « soft law ». Ils permettent d’harmoniser le contenu des CDI et d’en clarifier les concepts, atténuant par-là les différences d’interprétation entre les Etats contractants, lors des négociations d’une CDI ou à l’occasion de l’application de celle-ci. Cependant, il peut arriver que les tribunaux leur donnent trop d’importance, en les appliquant de manière systématique, sans prise en considération suffisante des dispositions de la CDI particulière à appliquer dans le cas d’espèce. Cela n’est pas toujours satisfaisant, sous l’angle notamment de la légitimité démocratique de ces instruments, et en raison des exigences de base légales prévues par la Constitution fédérale, dont l’art. 127, al. 2 prescrit que les principes généraux régissant le régime fiscal, soit notamment la qualité de contribuable, l’objet de l’impôt et son mode de calcul doivent être prévus par la loi. Il faut toutefois concéder que le Modèle OCDE et son Commentaire constituent des outils indispensables, pour l’élaboration, l’application, et l’interprétation des CDI, vu la complexité de ces conventions.
Camille Dubois, avocate, collaboratrice scientifique dans l’unité Projets et méthode législatifs, Office fédéral de la justice, Berne, camille.dubois@bj.admin.ch